«Mettre l'accent sur la violence des jeunes, c'est oublier la nôtre»
Olivier Guéniat, chef de la Sureté neuchâteloise, se montre critique à l´égard du thème surpolitisé de la violence des jeunes. Photo: DR
NEUCHATEL. Auteur d'un ouvrage sur les mineurs violents, Olivier Guéniat, le chef de la Sûreté, fustige la surenchère politique de ces dernières semaines. Les choses auraient pris une dimension «complètement disproportionnée».
Pierre-Emmanuel Buss
Vendredi 20 juillet 2007
Remettre les chiffres dans leur contexte pour tordre le coup aux discours simplificateurs. Voilà l'obsession d'Olivier Guéniat, chef de la police de sûreté neuchâteloise. Depuis quelques semaines, il bouillonne. A l'origine de son courroux: l'ampleur prise par le débat politique et médiatique concernant l'épineux dossier de la violence des mineurs.
Selon le policier, auteur cette année d'un livre à succès sur le sujet*, les choses ont pris une tournure «complètement disproportionnée». Il fustige les méthodes de l'UDC et du conseiller fédéral Christoph Blocher et leur façon de «monter les choses en épingle» avant les élections fédérales. Entretien.
Le Temps: Pourquoi le thème de la violence des jeunes fait-il autant parler de lui depuis quelques mois?
Olivier Guéniat: C'est très clairement lié à la succession de faits divers: Rhäzüns, Zurich, Schmitten, Steffisburg, Monthey... Depuis que j'ai écrit mon livre, tout s'est accéléré. L'UDC a pu relancer le débat sur les étrangers, les requérants d'asile, les expulsions. Elle a fait des amalgames, créé des slogans simplistes qui sous-entendent que les jeunes sont de plus en plus violents et de plus en plus pervers. A chaque fait divers répercuté par les médias, la situation est perçue comme plus inquiétante. On a créé des peurs qui ne sont pas légitimes. Car, contrairement à ce que certains avancent, les jeunes ne s'entre-tuent pas. Les mineurs ne commettent pas plus d'homicides qu'il y a vingt ans. Prenez les chiffres: il y a eu 11 mineurs dénoncés pour homicide intentionnel (dont les tentatives) en 2005. Un chiffre que l'on retrouve en 1998, 1995, et même 15 en 1984.
- Selon les chiffres du Département fédéral de justice et police (DFJP), la propension des jeunes à commettre des actes violents s'est accrue. Le nombre de condamnations pénales prononcées contre des mineurs pour infraction violente est passé de 1241 en 1999 à 2268 en 2006.
- Il y a une tendance à la hausse. Mais il y a un biais au départ. On a créé le concept «violence-des-jeunes», avec trait d'union. Ce faisant, on extrait un thème de la criminalité générale en faisant le déni du reste. On connaît un durcissement des relations entre l'Etat et les citoyens et entre les citoyens eux-mêmes. Le nombre d'affaires traitées par la police est plus important. Alors que ce constat est valable pour toutes les catégories de la population, on ne parle que des mineurs. Il faut appréhender les choses dans leur globalité. Environ 10% des délits avec violence sont le fait de mineurs, soit moins que leur poids démographique. Les infractions avec violences représentent 13% de l'ensemble des jugements pénaux impliquant des mineurs (chiffre 2005). Ce chiffre est stable depuis plusieurs années. Enfin, il n'y a pas d'évolution notable dans les sanctions arrêtées par les tribunaux. Cela démontre que les violences ne sont pas plus graves que par le passé.
- Il n'y a donc rien à faire pour améliorer la situation...
- Qu'on se comprenne bien: mon propos n'est pas de dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. J'ai d'ailleurs consacré l'essentiel de mon livre à recenser ce qui, selon moi, ne va pas. Mais je m'interroge. Pourquoi les politiques se focalisent sur la violence des jeunes alors que, dans d'autres domaines, les choses s'améliorent? Depuis quelques années, le nombre de vols commis par les mineurs est par exemple en baisse constante. Mais c'est un discours rassurant. Il n'est sans doute pas assez porteur électoralement.
- La socialiste zurichoise Chantal Galladé propose d'introduire des peines privatives de liberté au-dessous de la limite actuelle de 15 ans. N'est-ce pas une réponse courageuse donnée par un parti souvent taxé d'angélisme en la matière?
- C'est une réponse électoraliste. L'analyse de l'évolution des condamnations pénales montre que cette solution n'amènera rien. Le nombre des peines privatives de liberté n'a pratiquement pas changé depuis le début du XXe siècle. On peut donc durcir le ton: cela ne modifiera pas le paysage de la criminalité. Un autre élément est important à souligner. La théorie de la maturation montre qu'on ne peut pas traiter un adolescent comme un adulte. Le jeune est capable de larguer son fuel criminogène dès qu'il se découvre une passion, sportive, amoureuse ou artistique. Contrairement à l'adulte, qui a tendance à récidiver, il y a de fortes chances pour qu'il ne recharge pas son réservoir. Il faut donc privilégier une réadaptation qui inclurait des loisirs et des mesures éducatives. Mais ça ne plaît pas à la population: elle veut une réaction immédiate couplée à plus de sévérité.
- La sévérité, justement, n'est-elle pas nécessaire pour dissuader un jeune de passer à l'acte?
- Pas dans la sanction. Un jeune qui commet un acte de violence n'a souvent aucune idée de ce qu'il risque. A mon sens, il faut donner des réponses rapides, proportionnées et adéquates. Je suis un adepte de l'approche réparatrice induite par les travaux d'intérêt général. C'est beaucoup plus intelligent que d'emprisonner un jeune pour le mettre en contact avec d'autres délinquants. A l'école du crime, en quelque sorte.
- Comment peut-on recadrer le débat politique pour qu'il retrouve une certaine sérénité?
- On n'y parviendra pas, comme les Français n'y sont pas parvenus lors de l'élection présidentielle de 2002. A l'époque, une campagne médiatique énorme avait profilé le thème de l'insécurité comme la principale préoccupation de la population. Certains journaux télévisés ont traité le sujet vingt minutes sur trente. Tout le monde a suivi. On a fait le faux procès d'un phénomène qui était cantonné dans certaines banlieues. On observe aujourd'hui un mécanisme similaire en Suisse. Mettre l'accent sur la violence des jeunes, c'est une façon d'oublier la nôtre. Allez vendre cela aux politiques. C'est extrêmement difficile.
*Olivier Guéniat, La délinquance des jeunes, collection Le Savoir suisse, PPUR, 2007.