L'Opéra de Paris paralysé par le problème des régimes spéciaux
L'Opéra de Paris est, de toutes les institutions publiques, la seule à être encore en grève en raison de la réforme des régimes spéciaux de retraite (Le Monde du 19 novembre). Le mouvement, qui a commencé le 18 octobre, a déjà contraint l'établissement à présenter sept spectacles lyriques en version de concert ou réduites et à annuler dix-sept représentations lyriques et chorégraphiques, au grand dam du public.
L'inquiétude grandit. La ministre de la culture, Christine Albanel, s'en est fait l'écho lors d'une intervention, jeudi 29 novembre au soir, sur la chaîne d'information continue i-Télé en considérant qu'il y avait "danger". Cette inquiétude rejoint celle de Dominique Legrand, directeur des relations sociales et des ressources humaines de l'Opéra : le manque à gagner était de l'ordre de 3 millions d'euros à la fin novembre.
Si les syndicats les plus représentatifs (CGT et CFDT) ont levé les préavis de grève depuis le 16 novembre, trois syndicats minoritaires (FO, FSU et SUD) maintenaient la grève jeudi soir jusqu'à vendredi et ont initié un nouveau préavis pour la période du 2 au 20 décembre. Ce qui toucherait les représentations prévues des spectacles de fin d'année, Alcina et le très populaire Paquita, salle Garnier ainsi que Casse-Noisette dans la mise en scène de Rudolf Noureev et la nouvelle production de Tannhäuser de Richard Wagner, sous la direction de Seiji Ozawa, dans une mise en scène de Robert Carsen. Les pertes pourraient s'élever alors à 10 ou 15 millions d'euros supplémentaires pour un chiffre d'affaires de 170 millions d'euros.
"BLOQUER UN SPECTACLE"
Dès à présent, cette grève compromet les dernières répétitions, la générale et la première de Tannhaüser, dont la première est annoncée au 6 décembre. Par ailleurs, les mouvements actuels pourraient avoir des répercussions sur les productions suivantes, voire conduire à des annulations. Pour M. Legrand, si la grève continue, "l'Opéra mettrait des années à s'en remettre puisque cela mettrait en péril son équilibre financier." Patrick Ferrier, secrétaire général du Synptac-CGT, considère que cette grève "est irresponsable dans le cadre d'une négociation quand toute l'économie de la saison est en jeu".
Ce nouveau préavis de grève a certes été annoncé par des syndicats minoritaires, mais qui sont bien implantés chez les personnels techniques, et un seul représentant d'un corps de métier au sein d'une équipe de travail peut contraindre l'équipe tout entière à ne pas embaucher. Selon les jours, il n'y a que 1 % à 10 % de grévistes car ce ne sont pas toujours les mêmes personnes qui font grève.
En outre, il y a plusieurs équipes : celles du matin et de l'après-midi peuvent travailler alors que le soir, au moment des représentations, il y aura plusieurs grévistes. Sans oublier les absences "normales" : vacances, récupérations, RTT... "Il suffit d'une poignée de personnes, estime Christian Sevette, secrétaire général de la SNAPAC- CFDT, pour bloquer un spectacle."
Les négociations ont avancé en ce qui concerne les personnels artistiques et actuellement le conflit porte essentiellement sur les professions techniques auxquelles les règles s'appliquent de manière non homogène : si les couturières partent à la retraite à 60 ans, les techniciens de plateau (décorateurs, machinistes, éclairagistes, habilleuses...) le font cinq ans plus tôt en raison de la "pénibilité" de leur tâche et de leurs horaires "flottants" ou flexibles.
"INTÉGRATIONS DE PRIMES"
En raison de la moyenne d'âge d'entrée dans ces métiers (aujourd'hui autour de 30 ans au lieu de 18 ans, comme il y a quinze ou vingt ans), 60 % à 70 % de ces personnels sont âgés de 38 ans en moyenne et devront partir à la retraite entre 2013 et 2033. Puisqu'il faut avoir cotisé pendant quinze ans pour obtenir un taux plein, la décote prévue pourrait leur faire perdre, à 55 ans, environ 24 % de leur pension.
Matthias Bergmann, régisseur vidéo et délégué SUD à l'Opéra, considère que cette pyramide des âges (qui remonte à la création de l'Opéra-Bastille, en 1989) fait que "dans dix ans, nous aurons tous entre 55 ans et 60 ans. Et à ce moment-là, il y aura un plan social. Comme dans toutes les entreprises, on fera partir les plus âgés. Et le montant de nos pensions baissera puisque nous n'aurons pas cotisé assez longtemps." Que faudrait-il alors pour que le préavis de grève soit levé ? "Une ou deux mesures phares, répond-il, comme l'intégration de certaines primes."
M. Legrand reste toutefois optimiste : "Il faut trouver une solution et on la trouvera." Une pétition circule émanant d'un collectif du personnel demandant à ce que le préavis de grève soit levé. Elle a recueilli près de deux cents signatures.
De son côté, le directeur de l'Opéra, Gérard Mortier, qui prendra la direction du New York City Opera à l'été 2009 et qui avait laissé jusque-là à M. Legrand le soin de mener les négociations et de répondre à la presse, a reçu, jeudi 29 novembre, les différentes catégories de personnel.
Renaud Machart et Martine Silber
LeMonde.fr