Source: Florence MURACCIOLE
Le Journal du Dimanche
En déclarant, en marge d'un déplacement en Corse, que l'Etat était en situation de "faillite", François Fillon a allumé un nouvel incendie provoquant une pluie de réactions, entre inquiétudes et interrogations selon leurs provenances. Le Premier ministre dit-il tout haut ce que Nicolas Sarkozy refuse d'admettre?
Pour exister face à un président de la République omniscient et omniprésent, le Premier ministre semble s'être choisi une devise: déclencher la polémique en assenant sa vérité. Oubliant soudain que le chef de l'Etat l'avait qualifié il y a quelque temps de simple "collaborateur", il s'est proclamé sans retenue "à la tête d'un Etat en situation de faillite", vendredi en Corse. Rasséréné la veille par l'hommage présidentiel à son "travail parfaitement remarquable", François Fillon s'est laissé emporter par sa soif d'agir. Ne déclarait-il pas cette semaine à Paris Match: "J'ai l'obsession des réformes et la hantise du temps qui se consumerait sans que les réformes nécessaires soient conduites"?
Il n'empêche, d'aucuns, dans les allées du pouvoir, se demandent: "A quoi joue Fillon?" Et de rappeler que c'est la troisième fois, depuis qu'il est installé à Matignon, que le Premier ministre lance des pavés dans la mare présidentielle. Il y avait eu l'évocation, entre les deux tours des législatives, d'une hausse possible de 5 points de la TVA ; l'annonce, il y a quinze jours, de la réforme des régimes spéciaux de retraite -"On attend le signal du président de la République", avait-il déclaré sur Canal+ sans plus de précaution- et vendredi voilà que, selon lui, "la France est en faillite".
"C'est évident qu'il y aura un plan de rigueur"
"Le plus brutal n'est pas celui que l'on croit, s'amuse un responsable UMP. En fait, François Fillon est assez brutal dans son vocabulaire, le mot est allé plus loin que son idée." Dominique Paillé, secrétaire général adjoint de l'UMP et conseiller de Nicolas Sarkozy, remarque: "Les propos sont peut-être excessifs et tombés de manière abrupte." Un autre analyse: "Il se sert des médias pour faire passer son message à Sarkozy. Il lui dit: 'Tu ne m'entends pas quand je parle, alors je vais hurler!'" A l'UMP, certains s'inquiètent de la cohérence écornée du discours au sommet de l'Etat: "On ne peut pas passer du 'tout va bien, on va faire 3% de croissance' à 'tout va très mal, on est en faillite'." Bref le catastrophisme du Premier ministre risque d'atteindre la crédibilité des discours du Président alors que la confiance tant convoitée n'est pas encore au rendez-vous et que la croissance tant désirée n'a pas l'heur de pointer son nez.
A l'Elysée, on maintient cependant que le "je veux 3% de croissance" lancé par Nicolas Sarkozy le week-end dernier reste bien l'objectif d'autant plus que "le constat fait par Fillon permet de crédibiliser l'accélération des réformes qui vont être mises en oeuvre". "Il n'y a pas dissonance entre l'Elysée et Matignon mais complémentarité. La situation est inquiétante, dire le contraire serait nier la réalité financière et comptable du pays", insiste-t-on, pas mécontent que le Premier ministre fasse oeuvre pédagogique. En préparation d'un plan de rigueur? "C'est évident qu'il y aura un plan de rigueur, reconnaît un conseiller ministériel, mais il ne sera jamais appelé comme ça, c'est un mot banni du vocabulaire politique." De là à voir un partage des rôles entre les deux maisons... "La déclaration du Premier ministre était spontanée", veut croire un proche du Président. La preuve? Il a tenté d'atténuer ses propos en précisant que dans le mot "faillite", il ne fallait voir qu'une "image".
Jospin s'en mêle
L'image n'a pas échappé à deux anciens Premiers ministres qui se sont sentis accusés. "La France n'est pas en faillite", a répliqué Dominique de Villepin, affirmant "avoir laissé l'Etat dans une situation meilleure qu'aujourd'hui". Et d'expliquer, prenant à coeur son rôle d'opposant au président de la République, qu'avec le paquet fiscal voté cet été, on avait "dépensé beaucoup d'argent, plus de 15 milliards qui ont aggravé la situation financière". "Faillite? Mais non, certainement pas", a renchéri Lionel Jospin, tout en accusant la droite d'avoir fait "exploser la dette" depuis 2002.
La polémique n'est pas près de s'éteindre, les relations de Nicolas Sarkozy avec son Premier ministre pas près de s'apaiser. "Ah, vous voulez que je sois gentil avec Fillon? Vous allez voir, je vais être merveilleusement gentil", avait prévenu le Président avant de s'inviter jeudi aux 20 heures des deux chaînes. "On lui avait conseillé de calmer le jeu avec lui, reconnaît un proche du pouvoir. Il en a rajouté, il est passé d'un extrême à l'autre." Le regrette-t-il aujourd'hui?