Le sarkozysme, une doctrine économique non identifiée
LE MONDE ECONOMIE | 02.07.07 | 11h57 • Mis à jour le 02.07.07 | 14h31
ous l'étiquette "libérale", on pourrait placer le bouclier fiscal, la fin des droits de succession et l'exonération des charges sur les heures supplémentaires, qui devraient être votés lors de la session parlementaire de cet été, ou encore l'assouplissement des règles du marché du travail qui vont être négociées cet automne avec les partenaires sociaux.
Mais on pourrait tout aussi bien apposer l'étiquette "keynésienne" à la "pause" dans le désendettement de l'Etat, annoncée dès le 24 mai, l'injection de 10 à 15 milliards d'euros - via les exonérations fiscales - dans le pouvoir d'achat des Français, la volonté de développer une "politique industrielle" (discours du Bourget le 23 juin) et de lancer des programmes d'infrastructures (le 26 juin à Roissy). Ou faudrait-il plutôt choisir le label protectionniste avec la suppression de la référence à "la concurrence libre et non faussée" dans le mini-traité européen (23 juin à Bruxelles) ? Incohérence ? Eclectisme ? Stratégie novatrice, qui ne se dévoilera qu'en temps voulu ? Les économistes hésitent entre ces diverses interprétations, qui laissent d'ailleurs l'intéressé indifférent, tant "il se méfie des théories, et des intellectuels en général", observe l'un d'entre eux.
"MARQUER DES POINTS"
A l'inverse de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher, qui ont dérégulé l'Etat providence pour donner libre cours aux forces du marché, de Georges Pompidou, qui voulait mettre l'Etat national au coeur des dynamiques industrielles et financières, ou de Tony Blair et de Gerhard Schröder, qui ont mêlé de façon pragmatique mécanismes de marché et haut niveau de protection sociale, Nicolas Sarkozy ne cherche pas à afficher une "vision" de ce que devrait être une politique économique fondée sur un diagnostic cohérent. "Il est avant tout un opérateur politique efficace, qui cherche à marquer des points dès qu'il le peut, sans que cela obéisse à une stratégie économique définie, estime Christian Saint-Etienne, professeur à Paris-Dauphine, conseiller de François Bayrou. Ainsi, ne pas s'attaquer immédiatement à la dette de l'Etat n'obéit pas au principe keynésien de relance économique, mais au fait que le président ne voulait pas renoncer aux allégements fiscaux promis." Pour Dominique Plihon, professeur à Paris-XIII et membre du conseil scientifique d'Attac, "Nicolas Sarkozy fait du "gramscisme" de droite : ce sont les idées qui sont au service de la conquête du pouvoir, et non le pouvoir qui est au service d'une idée". Le président de la "rupture" se situerait ainsi dans la lignée de tous les gouvernements depuis 1983 : "Dans une économie ouverte et financiarisée, il est quasiment impossible de mesurer l'impact de telle ou telle mesure, et donc de choisir "la bonne". Eclectisme et incohérence sont le résultat du désarroi de l'analyse économique", observe Franck Van de Velde, maître de conférences à Lille-I et membre de l'Association pour le développement des études keynésiennes (ADEK).
Les économistes s'accordent d'ailleurs globalement, quelle que soit leur opinion, pour estimer que le "paquet fiscal" qui sera voté cet été n'aura que peu d'effets, que ce soit sur la consommation, la production ou le chômage. Christian Saint-Etienne craint que les 10 à 15 milliards qu'il coûtera manqueront lorsqu'il faudra financer les autres mesures promises - université, marché du travail, infrastructures - et que ce choix des priorités est "une erreur de politique économique majeure". Pour M. Plihon, ce n'est de toute façon pas l'effet économique qui est recherché. "Baisser les impôts des plus riches, déréguler le marché du travail et dénoncer la libre concurrence vont dans le sens de l'alliance qu'a passée le président avec les dirigeants des grandes entreprises françaises qui, derrière le discours libéral, veulent eux aussi se protéger des effets de la mondialisation."
Christian de Boissieu, président délégué du Conseil d'analyse économique (CAE), et Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes - qui organise les Rencontres d'Aix-en-Provence du 6 au 8 juillet - perçoivent un autre type de cohérence dans la politique menée. Le "paquet fiscal" serait une "première étape" : "Il s'agit de remettre en marche des outils d'incitation au dynamisme économique, estime M. Lorenzi, et qui donneront des résultats à court terme. Dans un second temps interviendront les réformes structurelles : université et recherche, marché du travail, fonctionnement de l'Etat." Pour M. de Boissieu, l'application de la loi organique relative aux lois de finance (LOLF), qui réorganise la dépense publique, sera "la clé" qui permettra de réallouer les moyens sans accroître les déficits. Le problème essentiel devient alors de "gérer les horizons temporels" des effets des différentes réformes, afin de récupérer par les secondes ce que coûteront les premières.
A moins que M. Sarkozy ne poursuive un autre objectif, dont il aurait donné les premiers éléments à Bruxelles le 23 juin. C'est la question que se pose M. Saint-Etienne. "M. Sarkozy croit à l'action de l'Etat et au volontarisme économique. Cette attitude peut être une stratégie face aux Etats-Unis, à la Chine, à la Russie, mais elle n'est pas adaptée à l'Union européenne telle qu'elle se construit... à moins d'en changer complètement les règles." Il faudrait alors un coup politique qui séduirait, au-delà de 53 % des Français, 26 gouvernements.
Antoine Reverchon