De l'engagement théâtral en ex URSS....

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Le metteur en scène Mark Weil assassiné à Tachkent
Par Jean-Pierre Thibaudat (Journaliste)

Comme Anna Polikovskaïa et tant d'autres empêcheurs de tourner en rond des dictatures postsoviétiques, Mark Weil, le metteur en scène et directeur de la compagnie Ilkhom à Tachkent (Ouzbékistan) a été assassiné au pied de son immeuble. Les assassins l'ont laissé mourant. Le metteur en scène s'est éteint à l'hôpital dans la nuit du 7 septembre. Il avait 55 ans.

Avant de mourir, Mark Weil a eu le temps de dire qu'on ne lui avait rien volé et qu'il ne connaissait pas les visages de ceux qui l'ont massacré. Un assassinat qui fait inévitablement penser à un acte commandité dans un pays comme l'Ouzbékistan où il ne fait pas bon s'opposer, même de loin, au pouvoir en place du président Karimov, venu au pouvoir après avoir été secrétaire général du parti communiste de l'Ouzbékistan au temps de l'URSS.

Mark Weil, juif russe né à Tachkent, avait fondé son théâtre, probablement le premier théâtre indépendant de l'ex-empire soviétique, au milieu des années 70 et lui avait donné le nom d'Ilkhom ("inspiration" en langue ouzbek) travaillant avec des acteurs russes et ouzbeks. Juif , il n'avait jamais voulu émigrer en Israël et prônait un théâtre disparate où cohabitaient des acteurs de différentes nations et différents styles.

A la faveur de la perestroïka, il avait pu nouer des relations avec plusieurs pays, en particulier les Etats Unis et la ville de Seattle, où il avait séjourné avec sa famille lorsque sa vie était menacée à Tachkent, au début des années 90. Puis il était retourné en Ouzbékistan où, depuis, il naviguait entre les gouttes. Cette dernière saison, le théâtre Ilkhom avait été invité au Japon, en Israël, en Allemagne et à Seattle, et avait créé, à Tachkent, un spectacle coproduit par le British council.

Il était venu en France au festival Passages à Nancy en 2002, où il présenta un "Ubu roi", pièce qui prenait encore plus de relief lorsqu'elle était jouée à Tachkent. Abordant des thèmes comme l'homosexualité (passible de prison en Ouzbékistan), le fanatisme religieux et l'autoritarisme, Mark Weil continuait sa ligne de vie d'artiste: celle d'un homme épris de théâtre libre.

Sur son lit d'agonie, il adressa ces mots à ses acteurs: "Quoi qu'il arrive, j'ouvrirai demain la saison." Ses derniers mots auront été ceux d'un homme de combat. La 32e saison du théâtre Ilkhom devait s'ouvrir le 7 septembre avec leur dernière création: "l'Orestie ". Une trilogie d'Eschyle dont la seconde pièce "Les Choéphores" commence avec ces mots d'Oreste:

"Hermès infernal, attache ton regard sur mon père abattu, et deviens le sauveur, l'allié que j'implore. Je rentre en ce pays et je reviens d'exil... Sur le tertre de cette tombe, je somme mon père de me prêter l'oreille et d'entendre...".

Les méthodes perdurent, mieux vaut ne pas être objecteur de conscience, même (surtout??) sur une scène de théâtre....

En fait j'ai un ami qui est rentré de Russie au début du mois pour prendre quelques vacances en familles. Il vit à St-Petersbourg depuis plus d'un an et s'étonne de la vision que nous avons ici de la Russie. Là bas, tout est simple, tout le monde ou presque soutient Poutine. Il est très apprécié car les russes aiment les hommes à poigne capables de conduire le pays correctement, par la force s'il le faut. De plus, Poutine est en train de réussir son objectif principal, à savoir rendre à nouveau le pays incontournable sur la scène internationale. Alors les journalistes qui disparaissent et la guerre en Tchétchenie, tout cela n'est qu'anecdotique là-bas.

C'est d'autant plus anecdotique que Poutine a la mainmise sur tous les médias les plus influents du pays, à commencer par la quasi-totalité des chaînes de télévision, ce qui ne permet de toutes façons pas aux Russes de se faire une idée de ce que l'étranger pensent de leur pays, ni de ce qui se passe réellement chez eux d'ailleurs.
La situation est visiblement la même dans les pays voisins, ce nouvel assassinat le montre bien. Là-bas, la vie d'un individu n'a aucun prix, surtout quand il est gênant pour le pouvoir en place...

Oui on l'a vu avec notre hôte russe ici (en l'occurrence, le crime que je cite ici n'a pas eu lieu en Russie).
Poutine est effectivement apprécié, les opposants restent une minorité.

Mais là justement, il y a quend même quelquechose de pregnant, qui est que cet assasisanat a eu lieu en Ouzbékhistan!

La situation est la même dans les pays limitrophes, la Russie a encore une influence énorme, en Ouzbékhistan comme en Biélorussie par exemple.
L'URSS a certes disparu, mais certaines mauvaises habitudes et certains autocrates pas encore...

Il semble que l'impérialisme russe soit toujours à la mode. Mon pote était un peu cynique lorsqu'il m'a parlé en gros de l'opinion sur la Tchétchénie. Les gens semblent content que l'ordre soit rétabli, comme ça ils pourront aller en vacances là-bas et faire du tourisme en toute sécurité, comme certains chinois le font au Tibet.

Par contre c'est vrai que je ne sais rien du tout sur l'Ouzbékhistan

Justement, passons l'influence russe (due majoritairement à l'entrée du pays dans l'Organisation de Coopération Centrasiatique), il y a surtout un phénomène de mimétisme inquiètant dans nombres de pays satellites, et c'est tout à fait le cas ici.
Un régime présidentiel extrêmement fort, Karimov est président depuis 1990, un pouvoir noyauté (le Parlement ne compte deux chambres que depuis peu), un niveau de développement extrêmement disparate, des Droits de l'Homme inexistants (voir l'affaire Isaïev...).

Le tout avec les bonnes vieilles méthodes qui ont fait de Weil une cible idéale!

Je pense que le phénomène de mimétisme, très inquiétant, est justement aussi un signe de l'influence russe.
Je te suis dans les décisions importantes pour les intérêts russes et en échange tu m'aides à me maintenir au pouvoir, quitte à m'apprendre un truc ou deux sur la meilleure "gestion" des opposants... Cela dit, je ne parle pas de cet assassinat en particulier, juste des méthodes en général.